vendredi 26 mai 2017

La fin des pâturages communs d'Arnex


En 1821, les pâturages communs sont partagés en parcelles et loués aux agriculteurs,

C’est la fin de chauchis !

Après l’affaire de la suppression du libre parcours (1806-1815) une nouvelle modification de l’utilisation de l’espace agricole de la commune est à l’ordre du jour.

Prenons connaissance de cet extrait du Conseil général d’Arnex daté du 10 novembre 1821 :

Le Conseil général de la Commune d’Arnex assemblé sous la présidence de François Monnier Syndic pour traiter des objets ci-après.

Proposition de la municipalité d’Arnex au Conseil général du dit Lieu.

Sur une pétition de 19 bourgeois de cette commune se disant agir pour 20 autres ; signée le 25 octobre, remise à Monsieur le Juge de Paix pour la transmettre au Conseil d’Etat par laquelle les pétitionnaires demandent :

1° Que le partage temporaire du terrain susceptible d’être mis en culture tel que celui de Saugette, Sangolin et Bullandaz soit fait et distribué aux Bourgeois à charge de payer les impôts dus à raison de ce terrain.

2° Que les marais contenant plus de 100 poses soient amodiés et fauchés afin qu’ils produisent une rente plus considérable que celle de 10 batz par bête les pâturant et donné à tous les bourgeois la quantité égale de se procurer ce foin.

3 ° Que les 112 £ que la Commune paye annuellement pour le salaire des taupiers soyent répartis sur les propriétaires à proportion de la quantité de terrain que chacun possède ainsi que cela se fait ailleurs ;

4° Que les frais occasionnés par l’achat et l’entretien des taureaux bannaux soient pareillement répartis sur les propriétaires de bétail ou couvert par une contribution basée sur la quantité de cornes que chaque particulier possède.

5°Qu’enfin ils se plaignent que la Municipalité a distribué ces années précédentes dex bons chars de bois de chêne à une partie des bourgeois tandis que l’autre partie n’a reçu qu’un char de mauvaises Dailles. Et que de telles distributions ne doit avoir aucune différence, chacun devant recevoir une part égale.

Cette pétition ayant été communiquée à la Municipalité par le dit Monsieur le Juge de paix le 17 novembre ; l’ayant prise en considération pour que le Conseil d’Etat ne fut pas appelé à se prononcer sur tous ces différents chefs ; elle a délibéré au contraire de préparer au Conseil général de délibérer.

1°Que dans cette assemblée convoquée exprès tous ceux qui demandent du terrain se fassent inscrire afin que lorsque le nombre sera connu la Municipalité puisse marquer la quantité de parcelles qu’il faudra et fixer l’impôt que chacun devra payer équitablement en se fondant sur la valeur intrinsèque du terrain. Adopté

2° Que ces parcelles seront marquées sur les Saugettes, Sangolin, Bullandaz et le long de l’Etang ; ensuite tirées au sort, numéro par numéro pour en jouir pendant 15 ans à la charge d’y mettre chaque année un char de fumier par quarteron ; et de se conformer en outre aux conditions qui seront faites pour régler cette jouissance ; Adopté

3°Que les Marais pourront être divisés entre tous les bourgeois ; chaque portion taxée selon la qualité ; tirée au sort et jouir pendant le même nombre d’années aux conditions il en a emporté de la Partagée. Et que le pâturage ne sera plus exercé sur aucun bois ; Adopté.

4° Que le taupier sera payé désormais pour une juste répartition de son salaire sur tous les propriétaires du territoire d’Arnex à raison de tant par pose ; Adopté

5° Que l’achat et l’entretien des taureaux bannaux seront également répartis sur tous les propriétaires de bétail à cornes comme veut la pétition ; Adopté

6° Et pour qu’il n’a ait plus de récriminations ni de différences entre les copropriétaires, les parties d’affouages soit distribution de bois se feront chaque année au même endroit également que possible ; Adopté



Le Conseil général les tous adoptés pour être exécutés et a délibéré de son partage : deux quarterons à chacun de ceux qui en demandent dans le Chauchi de Saugette

N°1   Le nombre de ceux qui ont demandé du terrain à cultiver est de quarante-six.

N° 2  L’assemblée étant composée de 73 particuliers pour délibérer pour le Partage de ce   territoire.

N° 3° passant au délibérer pour combien de quarteron en en voulois partager, il se trouve 25 voix pour quatre quarteron et 40 pour duc quarterons

N° 4° délibérer dans lequel des chauchis on voulois les marquer, il s’est trouvé 33 voix pour Saugette et 27 pour Sangolin.

N° 5° Délibérer pour le maret, il s’est trouvé 37 voix pour le partager et 35 voix pour le pâturer

Ainsi donc, suite à cette pétition, la Municipalité, avec l’accord du Conseil général, donne raison à leurs auteurs et va louer aux agriculteurs et bourgeois d’Arnex de nouvelles parcelles tracées sur les chauchis de la commune. Elle va aussi mettre en mise, non pas la parcelle, mais la récolte du fourrage.

On appelait cela les mises de fleurie, une pratique qui a disparu.

Le livre des mises communales

Dès 1824 toutes les mises de terrain, mais aussi de fourrage, du four ou du moulin seront inscrites dans ce grand livre conservé dans les archives communales.






Registre des Mises de la Commune d’Arnex commençant avec les listes de 1824





Première page de ce registre



Le marais de la plaine de l’Orbe sera le dernier territoire à être utilisé comme pâturage communal.

Mais suite aux travaux d’assainissement de la Plaine de l’Orbe, une partie de ce terrain va être vendu en en 1924, soit 56 ha côté Bavois du Nozon.

La vente d’une partie du marais

En 1906, M. Souza de Paris souhaite acheter le marais ; la Municipalité répond qu’elle est disposée à en vendre une partie, soit 30 à 40 poses, au prix de 2.50 fr. la perche, soit 1250 fr. la pose. Cette affaire demeure sans suite.

La SGG (Schweizerische Gemüse Gesellschaft), sise à Chiètres, achète de grandes surfaces agricoles, souvent dans les régions marécageuses du Seeland, de la plaine du Rhône et de celle de l’Orbe, pour y développer des cultures maraîchères. Ainsi, en 1924, elle fait à la Commune une offre de 550 fr. la pose pour le Grand Marais et 575 fr. pour le Petit Marais et le Marais Neuf. Le 23 juillet 1924, le Conseil donne son accord pour la vente de 56 hectares, soit 124 poses à 580 fr., avec location de 1925 à 1930 et entrée en possession au 1er janvier 1930. Le prix du fermage est fixé à 25 fr. la pose pour les deux premières années, et à 30 fr. les trois suivantes.

La vente des marais rapporte 71'000 fr. dont il faut déduire 3'000 fr. de gravier pour les chemins : force est de constater que le prix final est beaucoup plus bas que les propositions précédentes. Ces 71'000 francs servent à diminuer la dette contractée en 1921 pour la construction du collège, qui a coûté quelque 340'000 francs.

Les domaines de la SGG sont repris par COOP Suisse, qui finit par les revendre à la fin du XXème siècle

Et tout le secteur situé à l’ouest du Nozon sera loué par parcelles.

Comment louer les parcelles communales

Durant de nombreuses années, les parcelles communales sont réparties par mise. Le meilleur enchérisseur louant la parcelle. Mais cette façon de faire a posé problème avec l’application du droit foncier car souvent le montant de la mise était trop élevé au vu de la législation sur le fermage.

Pour éviter des montants spéculatifs, l’Etat a fixé des limites  et mis en place le contrôle des fermages, ainsi au fil des ans s’est mis en place tout un arsenal législatif visant à contrôler le montant des fermages pour les domaines et les parcelles.

Fermages et bail à ferme agricole dans le canton de Vaud

Qui fait quoi

Le Service de l'agriculture assure d'une part la surveillance des compétences légales déléguées à la Commission d'affermage, dont le secrétariat est assuré par Prométerre; d'autre part, il fournit à la Commission d'affermage les préavis relatifs au montant des fermages licites, calculés en principe par des bureaux d'experts privés. Enfin il exerce un contrôle général de l'application de la loi en matière de fermages maximaux et d'affermage par parcelles.



L'essentiel

Les relations contractuelles entre bailleurs et fermiers sont soumises aux règles de droit public de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole et de la loi cantonale d'application. Le contrôle des conditions d’affermage et les autorisations cantonales s'appliquent principalement aux situations suivantes:

·        approbation de la durée réduite de bail (durée légale minimale vignes:12 ans; domaines: 9 ans; parcelles et alpages: 6 ans);

·        autorisation de l'affermage par parcelles d'une entreprise agricole (démantèlement par affermage, soustraction, même partielle, d'une parcelle ou d'un bâtiment);

·        approbation du montant du fermage des entreprises et des alpages.





Les fermages indicatifs du canton de Vaud



Avec cette nouvelle législation, il appartient à la Municipalité de procéder à la répartition des terrains communaux en respectant la législation fédérale en la matière.

 Pour ce faire elle dispose des possibilités  suivantes :

a) Maintenir le statu quo et distribuer les parcelles rendues à la commune après un arrêt d’exploitation

b) Refaire des lots qui seront tirés au sort par les intéressés

c) Tout reprendre le dossier et étudier une nouvelle distribution plus équitable

En 1987 nouvelle répartition pour la période 1989-94

Ainsi, par exemple en 1987, la Municipalité d’Arnex s’est lancée dans cette délicate opération.

Avec au départ la situation suivante :

Le locataire le plus important disposait de 11.7 ha, le second de 7.9 ha et le 3ème de 4.5 ha, ensuite 11 paysans disposaient de 2 à 3 ha. Et 6 à 7 ne louaient rien à la commune.

Après enquête auprès de tous les agriculteurs, il est apparu que la quasi-totalité souhaitait un peu plus de terrain et une répartition équitable.

Mais ce terme est à signification variable !

Equitable pour les petites exploitations signifiait un peu plus pour elles, mais pour les grands domaines une répartition équitable voulait dire la même surface à chacun !!

La répartition de 1987

Pour finir la Municipalité a repris 6 ha aux deux locataires les plus importants et attribué un hectare a à 6 exploitants qui n’avaient quasi rien.

D’autres critères viendront par la suite : les municipalités suivantes ont introduit d’autres critères pour décider cette répartition en tenant compte de l’âge de l’exploitant ou l’obligation d’habiter dans la commune.

Actuellement en 2017, la commune met en location une cinquantaine d’hectares et  3'000 m2 de vigne aux agriculteurs du village, cet héritage de chauchis communaux  fait rentrer chaque année près de fr. 40'000.- dans la caisse communale!


jeudi 18 mai 2017

Histoire des pâturages de la commune d'Arnex sur Orbe


Histoire des pâturages de la commune d’Arnex ou comment on est passé du libre parcours et des chauchis aux champs loués et labourés

Depuis fort longtemps et jusque vers 1800 le territoire agricole de la commune d’Arnex, était exploité de façon très extensive.

On y pratiquait l’assolement triennal, le bétail profitait du libre parcours et pouvait pâturer les chauchis communaux sous la surveillance d’un berger nommé et payé par la commune.

Assolement triennal

Du Moyen âge jusqu’au 18ème siècle, l’agriculture de ce canton a très peu évolué, restant fidèle à l’assolement triennal et pratiquant le libre parcours du bétail.

Le bétail pouvait ainsi pâturer des surfaces importantes composées des communs ou chauchis (prés appartenant à la Commune), des prés après les foins, des champs après les moissons et des jachères.
Tiré de : Histoire des agricultures du monde. Mazoyer et Roudart

A la même époque, J. Bertrand, cité par Georges André Chevallaz[1], donne le portrait suivant du paysage agricole vaudois de 1760 :

Autour de l’essaim des fermes trapues, groupées de part et d’autre de la rue du village, ce sont d’abord les enclos des vergers, des jardins et des chenevières, entourés de haies vives. Plus loin, les labours en parcelles allongées, se groupent en trois mas d’égale superficie que l’on nomme sole ou « fins de pie », passant alternativement par les trois phases de l’assolement triennal.

La première sole est semée en graines d’automne, ou « gros grains », froment, seigle ou méteil.

La seconde est invêtue en avoine, orge, en autres « menu grains » ou en légumineuses.

Enfin la troisième sole se repose de ses deux ans de production. « Jachère » ou « sémorailles », ameublie, aérée, purgée d’une partie de son ivraie par quatre labours successifs, pâturée dans l’intervalle, elle se prépare à recevoir à l’automne, le blé qui marquera le début d’un nouveau cycle.



Les trois soles du territoire de la commune

Cette description correspond assez bien au territoire d’Arnex. Dans notre cas, les soles suivantes sont décrites dans les actes du procès de 1814 concernant l’abolition du libre parcours. Ce procès sera raconté à la fin du présent chapitre.

On y trouve :

o      la première sole, qui comprend la Fin de Brion, Perrevuit et Longeraye ;

o      la deuxième sole, appelée la Fin sous l’Etang avec le Ruz d’Otoz, en Borboz et en Jugny ;

o      La troisième nommée la Fin du côté d’Orbe. Actuellement, lorsqu’on cite un champ situé « En bas la Fin », c’est de cette fin-là qu’il s’agit.

Ainsi, chaque année, les agriculteurs sèment les mêmes cultures dans leurs champs situés sur la même sole. Il faut donc disposer de terrain dans ces trois parties de la commune.

Si ce système, dont nous verrons les inconvénients plus tard, a subsisté si longtemps, c’est qu’il comportait un certain nombre d’avantages : pour l’autorité chargée de prélever la dîme des moissons, toutes les parcelles sont situées dans le même territoire. Il est aussi plus facile de laisser pâturer le bétail sur des jachères groupées au même endroit. En effet, deux jours après les moissons, les champs sont ouverts à la pâture. Les glaneuses ne disposent que de très peu de temps pour leur quête des épis oubliés !





Comme il en allait parfois au temps jadis, en 2006 la Fin du côté d’Orbe est presque toute en céréales



Sur cette photo de l’été 2006, la troisième sole du territoire communal se retrouve presque complètement en céréales, qui, compte tenu de la diminution du bétail, ont remplacé une bonne partie des prairies.

Les prairies et le passage à Clos et Record
De façon assez étonnante, dans les temps anciens, seul le foin, soit la première récolte des prairies, appartient au propriétaire. Celui qui désire profiter de la seconde coupe, soit les regains, appelés Records, ne peut le faire sans s’acquitter d’une taxe versée à la commune.

En payant plus, il fait passer son pré dans la catégorie à Clos et Record, ce qui lui permet de profiter de toute la récolte et d’interdire le pacage du bétail des autres sur sa parcelle.

C’est ce que fait par exemple Fréderich de Chaillet en 1778 pour quatre poses au Champ dernier les Lattes, pour la somme de 90 florins, payés comptant. L’acte mentionne :

Le Noble de Chaillet pourra dans la suite recueillir et appliquer à son profit toutes les prises de foin, record et regain, sans que sous aucun prétexte la Commune ni autre particulier puisse y faire paître aucun bétail.

Plus de détails sur Fréderich Chaillet voir :




Acte de Passation à Clos et Record pour Fréderich de Chaillet



Pour ceux qui ont moins de liquidités, la chose est possible sans qu’ils aient à verser de capital, mais en payant chaque année un intérêt à la bourse communale.








Intérêts des passations de pré à clos et records dans les comptes de 1719



Les cloisons
Avec ce bétail plus ou moins bien gardé, qui se promène sur presque tout le territoire communal, il est nécessaire d’ériger des murs ou des cloisons pour protéger les vignes et les autres cultures.

Ces haies ou cloisons ont laissé leur nom à quelques lieux-dits :

o      Sous les haies pour une vigne ;

o      une delaise est une porte à claire-voie appelée aussi clédard ; en 1716 la commune achète une douzaine de coignées (haches) pour faire des delaises ;

o      Champ des Lattes : barrière de protection contre le bétail ;

o      un Breuil est un pré, souvent humide et probablement clôturé.

A propos du Breuil, il est noté dans la Reconnaissance générale des usages de la Terre de Romainmôtier de 1499, qui règle les relations entre le monastère et ses propriétés :

que tout attelage d’Arnex est tenu d’amener du pré du Brueux à la grange du Seigneur d’Arnex quatre chargements, avec ses propres animaux de trait, l’on doit quatre miches de pain à chaque attelage faisant charroi.

Le bétail et les bergers
Comme on vient de le dire, le bétail est conduit à la pâture de façon collective. Dans un règlement communal de 1741 prévu pour la commune d’Apples, le bailli précise à l’article 24 que :

Qui que ce soit ne fera son troupeau a part, mais mettra son bétail sous la verge du Berger commun à peine de Chatiment et des Bamps (amende) et ordonnons aux messeillers et à tous les Communiers de rapporter ceux qui contreviennent à cet article.

En 1744, n’ayant pas respecté cette règle, Jean François Gauthey (1681-1764) est cité en Cour baillivale.

Le 18 mai 1744 comparaît :

Jaques Antoine Gilliard en qualité de Gouverneur de l’honorable commune d’Arnex accompagné du sieur Etienne Olivier contre Jean François Gauthey justicier du dit Arnex demandant qu’ensuite du mandat qu’ils ont obtenu en date du 12 mai, il ait à dire les raisons en vertu desquelles il fait un troupeau à part d’une partie de ses vaches au dit Arnex.

Pour sa défense le Sieur Gauthey cite la Loy 42 f : 161 qui règle la Pâture du bétail entendant que s’il y a quelques bêtes boiteuses ou vaches portantes, il doit s’adresser à la Commune pour leur demander de pâturer à part, alors la Commune y aura égard.

Le Bailli accepte l’argument, mais, comme ledit Gauthey aurait dû, au préalable, demander une permission à la Commune, il est condamné aux frais, non sans modération.

Les bergers
Afin de garder les troupeaux de vaches, de bœufs, de chevaux, de chèvres, de brebis ou de cochons, la commune engage chaque année des bergers dont elle paye le travail et la froche (l’habit). Mais est-ce vraiment à la commune d’assumer cette charge ? En 1816, le Juge de Paix qui vérifie les comptes d’Arnex n’est pas de cet avis et fait remarquer que ce n’est plus à la commune de payer le salaire des bergers.

Quant aux habitants, c'est-à-dire les non bourgeois qui possèdent du bétail, ils sont astreints à une taxe pour faire pâturer leurs bêtes.

Les taureaux
La commune prend aussi en charge l’achat des taureaux, qui proviennent parfois d’autres communes : Chevilly, Bofflens, Premier, Rances, Pailly, etc.

Mais certains ont une triste fin, tel ce pauvre taureau malade, qui en 1772 expire malgré toute la soupe à l’orge dont il est gratifié ou celui qui périt au marais, ainsi que le relatent les quelques lignes ci-dessous tirées des comptes de 1753 :







La mort du taureau au pâturage du marais en 1753



Terrains disponibles pour le bétail
En plus des jachères et des champs moissonnés, les troupeaux pâturent aussi les Chauchy ou Chauchi, qui sont de grands pâturages, propriétés de la commune. Les trois plus importants sont ceux de Bulande, de Sangolin et de Saugettes. Ces chauchis sont à l’origine des propriétés communales situées en ces lieux-dits.

Mais mal drainés, parfois recouverts de buissons, ils sont souvent exploités de façon très extensive.

Vers 1821 certains citoyens, considérant cela comme un gaspillage de terres, interviennent par pétition pour demander à la Municipalité que ces chauchy soient partagés en parcelles pour être mises en location.

Ce qui sera accepté beaucoup plus rapidement que l’abolition du libre parcours comme expliqué en détails ci-après.




Les chauchis de Bulande, de Sangolin et des Saugettes avec le Marais

Un autre grand pâturage se trouve au marais, dont une partie, la moins humide, est misée pour son fourrage et le reste pâturé.

Cette façon de nourrir le bétail, tant sur les jachères que sur les pâturages communaux, convient à ceux qui disposent de grands troupeaux, mais de peu de terrains. Mais ce système agraire freine toute tentative d’amélioration de la production fourragère.

Pourquoi investir dans la création de prairies artificielles bien plus productives, si c’est pour y voir pâturer les vaches du voisin ?

L’abolition du libre parcours
Au début du 18ème siècle déjà, certains esprits éclairés constatent que l’assolement triennal et la pratique du libre parcours pour le bétail bloquent tout progrès agricole.

Vers 1750, Elie Bertrand, pasteur d’Orbe, cité par Auguste Verdeil, dénonce ainsi cette situation :

Dès que nos champs sont moissonnés, ou du moins deux jours après l’entière récolte du Confin, on y mène selon la loi paître le bétail. Et même on ne permet point au propriétaire de labourer tous ses champs ; il doit en laisser une partie pour être pâturée.

Il ne peut ainsi donner à ses terres leurs façons pour les grains d’automne et il est obligé de les laisser pour y semer des mars l’année suivante.

Il poursuit à propos des pâturages communaux :
Un autre obstacle à la production des céréales est la quantité des pâturages communs.

Cent poses pâturées en commun, suivant la pratique de quelques lieux, ne font pas le profit que feraient vingt fermées sur ces cent poses…

À la même époque, Seigneux de Correvon blâme également le pâturage commun en ces termes :
Quelle différence entre ces champs sujets au parcours, et les champs dont le maître étend ou restreint la culture durant l’année à son gré !

Semant tantôt en herbe artificielle, tantôt en grains, ce maître se fait une rente par la seule variété des productions de ses champs, et en peu de temps, par de bonnes cultures, par l’emploi des eaux voisines, ces champs pourraient devenir des fonds, qui après avoir coûté deux à trois cents francs, vaudront mille francs la pose.

Le même Seigneux de Correvon propose de nouvelles cultures :
Mais, dit-il, ces nouvelles cultures sont impossibles, tant qu’existera le parcours ; car ce ne sera que lorsque le parcours sera aboli, que le cultivateur pourra dire : ce champ est à moi…


La transition

En 1591 déjà, LL.EE tentent par un édit de favoriser la passation à clos et record des prés, mais sans beaucoup de succès. Le 13 février 1717 paraît un nouvel édit reproduisant celui de 1591, sans beaucoup plus de résultats.

La loi vaudoise du 12 juin 1805

En 1805, le nouveau canton, qui vient d’avoir deux ans, va tenter de réaliser ce que le régime bernois n’a pas pu atteindre en matière d’abolition du parcours et, le 12 juin 1805, le Grand Conseil du Canton de Vaud, sur proposition du Petit Conseil, déclare :

Considérant qu’une longue expérience a démontré que l’exercice du parcours est nuisible aux progrès de l’agriculture, et par conséquent à l’augmentation du produit du sol,

Décrète :




L’article 3 précise :


Cet article 3 est important, car, pour prendre une décision il faut savoir précisément :

o      qui est vraiment le propriétaire ;

o      comment sont délimitées les soles sur une commune.

Toutes ces questions deviennent essentielles quand les deux camps à s’affronter, ceux qui sont pour l’abolition du parcours et ceux qui sont contre, sont de force presque égale. C’est le cas à Arnex durant les années 1814-1815.



La guerre des pâturages de 1806 à 1815 dans la commune d’Arnex

Pour ou contre l’abolition du parcours
Durant neuf ans cette question met tout le village en ébullition. Il nous a paru utile d’en citer les principales étapes pour bien montrer l’importance de cette transition.

Le début du conflit
Les faits remontent à 1806 déjà. Dans les procès-verbaux du Tribunal cantonal du contentieux du 17 juin 1807, on relève :

Lecture est faite d’un mémoire de la Municipalité d’Arnex qui se plaint que le citoyen Georges Monnier le jeune, propriétaire d’un pré dans le mas dit au Perrevuit sur lequel la dite commune exerce un droit de parcours en vertu d’anciens usages veut maintenant, en se fondant sur la loi du 12 juin 1805 qui abolit le parcours jouir exclusivement de son fonds sans se conformer aux conditions exigées à ce sujet par la susdite Loi, malgré que Instante n’ait point voulu faire usage de la faculté accordée par cette Loi, d’abolir le parcours sur son territoire.

La Municipalité Instante conclut à ce que fut prononcé qu’en 1806 le citoyen Georges Monnier le jeune ne pouvait pas jouir de tout le produit de son pré.

Elle conclut aussi aux dépens.

D’un autre côté, le Mémoire en réponse du citoyen Georges Monnier qui oppose à la Municipalité Instante, d’un côté son défaut de vocation et de l’autre la loi du 12 juin 1805 dont les articles qui règlent le mode à suivre pour l’abolition du parcours dans le cas actuel sont de pure faculté et nullement obligatoire et conclut en conséquence à la libération avec dépens de l’action que lui a intenté la Municipalité d’Arnex

Décision du tribunal :

Ces Mémoire et Contre Mémoire ayant circulé chez les membres du Tribunal, mûrement été examinés, et le jugement de cette cause appointé à ce jour. Le Tribunal arrête :

La Municipalité d’Arnex est éconduite des fins de sa demande et condamnée aux dépens.

Si le Tribunal ne donne aucune raison pour motiver sa décision, il aura d’autres occasions de s’occuper des problèmes de la commune d’Arnex, comme nous allons le voir.

Nous ignorons ce qui s’est passé entre 1807 et 1813, mais dès 1813 et sans doute un peu avant, le problème de l’abolition du parcours reprend toute son actualité.



Les Défenseurs et les Demandeurs, une lutte sans merci pour obtenir la majorité
Deux clans vont se former dans le village et s’affronter très durement entre 1814 à 1815.

Le clan des Défenseurs demande le maintien du libre parcours, il est représenté par Abram Monnier (1772-1862), syndic, et Samuel Gauthey, secrétaire de la Municipalité.

Celui des Demandeurs, partisans de l’abolition du parcours, est emmené par Georges-Louis Monnier ; dans leurs rangs se trouvent Charles de Lerber, Louis de Joffrey-Thomasset et une trentaine de propriétaires.

Le 27 avril 1814, le Tribunal du contentieux prend connaissance d’un mémoire des citoyens Georges-Louis Monnier et consorts estimant être propriétaires de la majorité et demandant que le parcours soit aboli sur le territoire de la Commune d’Arnex.

D’un autre côté figure un mémoire d’Abram Monnier, Syndic.

Le tribunal constate que la conciliation n’a pas eu lieu. Le citoyen syndic Monnier est débouté.


L’intervention du Petit Conseil
Le Petit Conseil (Conseil d’Etat), par lettre du 18 août 1814, demande une réunion des propriétaires sous la présidence du juge de paix du Cercle de Romainmôtier, M. Perreaud.

Cette séance est fixée au 9 octobre 1814, mais les propriétaires n’en sont avertis que le matin « par le Sergent de la dite Municipalité ». En début de séance, pour tenter de trouver un compromis, le juge de paix propose d’abolir le parcours pour une période d’essai de six ans, afin de voir si cette abolition serait avantageuse ou nuisible.

Sur 142 propriétaires, 105 sont présents. 51 votent pour et 54 sont contre l’essai d’abolition. La proposition du Juge de paix étant rejetée pour l’ensemble du territoire, elle est ensuite discutée pour les sept portions du territoire. Mais ici aussi, avec des scores plus ou moins serrés, l’abolition du parcours est chaque fois rejetée.

Suite de la bataille en 1815
Les Demandeurs ne vont pas s’avouer battus pour autant. Au début 1815, ils présentent un nouveau mémoire au Tribunal du contentieux de l’administration vaudoise. Voici le début de ce mémoire de six pages, avec 18 pièces annexées :

Très honoré Monsieur le Président et Messieurs.

Deux partis depuis trop longtemps existent à Arnex, celui des puissants et des riches et celui des pauvres et des faibles.

Ceux-là voyant dans la conservation du pâturage une source gratuite d’enrichissement pour leurs familles. Ceux-ci n’y trouvant qu’un aggravement de misère et un grand obstacle à la prospérité générale. C’est la lutte de l’égoïsme contre le bien public. Il est utile qu’elle finisse, le bon ordre l’exige, la loi en fournit les moyens et vous avez, Messieurs, le pouvoir de l’ordonner.

Il y a dans cette commune six cents poses de champs et davantage. Le tiers en est condamné à demeurer en friche chaque année, soumis à la dent des moutons. Que des mains industrieuses ensemencent ces deux cents poses en fourrages artificiels, on y recueillera au moins 150 chars qui nourrissant, engraissant, multipliant le bétail fourniront les engrais qui doubleront par la suite les récoltes en vin et en grains de ce terroir.

Les Demandeurs constatent également que toutes les communes avoisinantes ont aboli le parcours et ils regrettent la façon très extensive avec laquelle est cultivé le territoire d’Arnex. Ils notent que, suite à la décision du Tribunal du 22 juin 1814 renvoyant les acteurs à mieux agir et croyant ainsi que le parcours n’était pas supprimé, les défenseurs ont lancé leurs bestiaux sur les cultures, jusque sur les pommes de terre dont le pauvre avait investi son champ. Il y a eu des fêtes bruyantes et des bravades dédaigneuses.

Quant à la séance du 9 octobre 1814 présidée par le Juge de Paix, les Demandeurs constatent que la convocation le matin même n’était pas correcte, empêchant plus de trente propriétaires d’être présents.

Ils dénoncent donc ces faits auprès du Juge de paix et donnent une nouvelle liste de signatures des partisans, prouvant qu’ils possèdent bien la majorité.

Ils demandent donc en conclusion l’abolition du parcours.

Le contre mémoire des défenseurs
En vingt-sept pages les Défenseurs vont donner leur point de vue.

Ils accusent les Demandeurs d’avoir par trois fois grossi la liste des personnes de leur bord ; ils posent la question de la possibilité de voter pour les propriétaires habitant une autre commune ; ils souhaitent également que lorsque du terrain est exploité en indivis, tous les héritiers puissent voter et non pas un seul.

On le voit, quand les majorités sont difficiles à atteindre, tous les moyens sont bons pour ajouter ou retrancher une voix...

Un neutre dans la bagarre…
Dans son attestation du 16 décembre 1814, Jaques Baudat déclare :

Nous les soussignés voulant éviter tout désagrément et difficultés quelconques dans les débats qui vont s’élever au sujet des parcours, déclarons par la présente vouloir rester absolument neutres dans cette affaire et voulons que nos suffrages ne puissent être comptés ni pour ni contre dans toute délibération ou décisions quelconques qui dès à présent pourraient avoir lieu à cet égard.

Signé : Jaques Baudat



Les décisions du Tribunal
Le 8 mars 1815 le Tribunal prend connaissance des deux mémoires et les transmet au juge de paix pour vérification et rapport. Le 12 avril 1815, après avoir pris connaissance du rapport du 23 mars fourni par le juge de paix, le Tribunal arrête :

Les acteurs sont maintenus aux bénéfices des conclusions de leur demande ; en conséquence l’abolition du parcours sur les fins de Brion-Perrevuit-Longeraye, sous l’étang et du côté d’Orbe est prononcée.
En outre le Tribunal a désapprouvé le ton peu mesuré, ainsi que les insinuations personnelles déplacées que les défenseurs ont accumulé dans leur mémoire !



Pour Arnex le problème est donc réglé par cette décision ; dans d’autres communes le parcours se maintient encore quelques années.

On cite le cas de Cronay où en 1837 le parcours n’est toujours pas aboli. Comme ces cas sont encore nombreux, le Conseil d’État se voit contraint de légiférer à nouveau. Il le fait par la loi sur l’abolition du parcours du 5 février 1842, qui interdira définitivement le parcours, ainsi que le stipule son article premier :

Le pâturage sur les fonds d’autrui, communément appelé parcours, dont en vertu d’anciens usages jouissent les habitants d’une commune sur les terrains clos ou non clos, les mas de pré, les soles ou fins de pie, et en général les immeubles quelconques situés dans le territoire de cette commune est aboli.

Ce changement important permet enfin à l’agriculture de prendre un nouvel essor, grâce aux prairies artificielles qui vont remplacer les jachères, grâce à l’amélioration des productions animales et à l’introduction de nouvelles cultures : pommes de terre, colza et betteraves à sucre, etc., ceci pour le bien de tous.

Le pâturage du bétail sera bien surveillé par les gardes-champêtres, qui peuvent commencer à gager le bétail pâturant chez le voisin ; leur métier ne sera pas de tout repos.

En 1917, l’un d’eux est injurié par le domestique d’Henri et Louis Morel, qui avaient des vaches aux champs après 19 heures. Les mêmes sont aussi amendés pour avoir, en automne, laissé du bétail trop longtemps au Fond des Vaux. En effet la Municipalité fixait une date limite pour la pâture d’automne.



Un prochain article relatera comment peu après, à partir de 1821, les chauchis ou pâturages communaux seront loués par parcelles aux agriculteurs bourgeois du village.



[1] Georges-André Chevallaz, Aspects de l’agriculture vaudoise à la fin de l’Ancien Régime : la terre, le blé, les charges, Lausanne 1949.